I INTRODUCTION
Il n'existe pas une présentation clinique qui soit spécifique des hématomes épiduraux. En effet, les mêmes signes peuvent se retrouver avec toutes les autres lésions expansives intracrâniennes après un traumatisme. L'hématome épidural (HE) est celui qui, évacué dans les plus brefs délais, a le plus de chances de ne pas laisser de séquelles au patient. Nous tenterons de définir les mécanismes de formation ainsi que la présentation clinique et radiologique des HE aigus en réalisant une synthèse des informations fournies par divers auteurs. Suivra notre casuistique, à partir de laquelle nous établirons une attitude générale à adopter chez les traumatisés crâniens graves
Généralités sur les hématomes épiduraux
a) Physiopathologie et mécanismes de formation des HE traumatiques:
L'hématome épidural est par définition l'accumulation de sans entre la table interne de la calotte crânienne et la dure-mère. On peut le définir d'après le temps écoulé depuis le traumatisme crânien. L'HE est considéré comme aigu s'il est suspecté ou diagnostiqué au plus tard 12 à 72 heures après le traumatisme, selon les auteurs; nous avons arbitrairement choisi un intervalle de 48 heures, permettant d'englober la majorité des HE qui nécessitent la même démarche diagnostique et thérapeutique. passé Ce délai, l'HE est appelé subaigu, puis chronique à partir de la troisième semaine.
A l'origine, il se produit le plus souvent un décollement initial de la dure-mère par déformation de la boîte crânienne (4, 8). Cela expliquerait une faible incidence des HE chez les vieillards et les petits enfants, qui ont une dure-mère adhérente à la table interne (3). Classiquement, l'HE est accompagné d'une fracture de la calotte sus-jacente; une solution de continuité au niveau de l'artère et de la veine (qui est le vaisseau occupant le sillon osseux) méningée moyenne ou de leurs branches permet la formation d'un hématome. Celui-ci peut également provenir d'un saignement diffus de la dure-mère (microtraumatismes vasculaires, troubles de la crase). Des origines purement veineuses (sinus dure-mérien, veines émissaires, veines de la diploë) peuvent aussi former une partie ou même la totalité d'un HE, mais le sang étant sous faible pression, il faut probablement à l'origine un décollement étendu de la dure-mère. La théorie selon laquelle un bon nombre d'HE encore asymptomatiques plusieurs heures après le traumatisme se seraient formés dans les premières minutes (4), ne se vérifie pas dans de nombreux cas (7).
Certains facteurs sont susceptibles d'influencer la vitesse avec laquelle se forme l'HE, et permettent de rendre compte du développement retardé de certains HE (7). Outre la surface de décollement déjà citée, mentionnons surtout l'efficacité des voies de la coagulation, la différentielle entre la pression artérielle systémique et la pression intracrânienne (2), la fuite sanguine par le foyer fracturaire (6), et l'autohémostase par augmentation de la tension pariétale de la dure-mère (2). D'autres phénomènes comme la formation d'une fistule artérioveineuse (3, 10) ou d'un faux anévrisme (1, 3, 6), entrent peu en ligne de compte dans les HE aigus. La vitesse d'apparition des symptômes n'est pas uniquement fonction de la rapidité de formation de l'hématome; des mécanismes compensateurs sont sollicités (par exemple l'expulsion de liquide céphalo-rachidien hors de l'étage sus-tentoriel [4]). Mais ces mécanismes peuvent être prétérités par la présence d'autres lésions expansives intracrâniennes (oedème cérébral, hématomes infraduraux).
b) Epidémiologie des HE:
L'HE, peu fréquent aux âges extrêmes, prédomine entre 20 et 40 ans; remarquons cependant que 40% des hématomes intracrâniens traumatiques chez les moins de 20 ans sont des épiduraux, alors que la proportion n'est plus que de 10% après 40 ans (12). Probablement en raison d'une exposition plus importante aux traumatismes divers, 75 à 90% des patients sont des hommes; cette inégalité est moins marquée dans le groupe pédiatrique. Les HE ne représentent que 1 à 5% de l'ensemble des traumatisés crâniens hospitalisés; mais sur 5 hématomes intracrâniens, un est épidural (12).
c) Présentation clinique:
Habituellement, après un traumatisme crânien d'intensité très variable (même parfois insignifiant chez les enfants [33, 34]), se produit une perte de connaissance (PC). Celle-ci durait entre 1 minute et une heure chez 28% des patients d'une série (14). Relevons que 30 à 40 % des porteurs d'HE n'ont jamais eu de PC initiale; La PC est moins fréquente chez les enfants que chez les adultes. La suite peut se dérouler selon trois modalités principales (28). Dans les cas les plus favorables, comportant une faible incidence de lésions intracrâniennes associées, les patients s'améliorent jusqu'au moment de l'intervention. Un deuxième groupe représente ceux qui restent stationnaires. On définit un troisième groupe de patients qui se péjorent, et où une corrélation peut être faite entre la mortalité et le délai écoulé avant l'intervention. La description classique de l'HE comprend la notion d'intervalle «libre» (lucide) définie par la séquence suivante: PC initiale, récupération transitoire de l'état de conscience puis survenue d'un coma. Si cette suite d'événements ne se réalise strictement que dans 12% des cas (8), d'autres études rapportent une proportion allant jusqu'à 70%, selon les critères retenus pour définir l'état de conscience intermédiaire. Globalement, on peut dire qu'il existe une notion de péjoration de l'état de conscience dans plus de 1/3 des cas (13). Inversement, la moitié des traumatisés crâniens présentant un coma à un moment quelconque de leur évolution sont porteurs d'un hématome intracrânien (12).
Les signes neurologiques proviennent soit de compressions localisées du cortex ou de nerfs crâniens, soit des effets de l'hypertension intracrânienne. Finalement, l'état de conscience et la régulation des fonctions vitales seront altérés lorsque se produiront des herniations de l'uncus et de la circonvolution de l'hippocampe, sous le bord libre de la tente du cervelet, exerçant une compression du tronc cérébral. Il en découlera une stase circulatoire dans la formation réticulée et le pont et une compression de l'artère cérébrale postérieure (11).
Chez un patient conscient, la céphalée est un indice précoce et peut indiquer le côté de la lésion; l'apparition secondaire de vomissements, d'un état d'agitation, de vertiges, d'irritabilité d' une raideur de nuque, de troubles de l'état de conscience, doit toujours faire suspecter la présence d'un hématome intracrânien. Les convulsions ne se voient que dans 2% des HE (12), mais 10 à 25% des traumatisés crâniens présentant une comitialité précoce sont porteurs d'un hématome intracrânien (12, 29).
Chronologiquement, dans l'HE pur, la diminution secondaire de la vigilance ou l'aggravation d'un coma sont exceptionnellement précédés de signes pupillaires ou pyramidaux. D'où l'importance de la surveillance de l'état de conscience chez le traumatisé crânien.
Signes pupillaires:
C'est la herniation uncale à travers la tente du cervelet qui, en comprimant le nerf moteur oculaire commun, est responsable de la mydriase homolatérale. C'est pourquoi ce signe est tardif (plus du tiers des HE sont opérés avant l'apparition de signes pupillaires [12]). Jamieson a constaté que les 3/4 des patients porteurs d'une mydriase unilatérale, et la totalité des mydriases bilatérales, étaient comateux dans la phase pré-opératoire (8). L'apparition de ce signe après un intervalle isocore impose un traitement de toute urgence. On gardera à l'esprit la possibilité d'une mydriase controlatérale à l'hématome, les autres lésions neurologiques pouvant interrompre la boucle réflexe, les dilatations médicamenteuses iatrogènes et les asymétries pupillaires préexistantes.
Signes pyramidaux:
Les constatations vont d'un signe de Babinski isolé à l'hémiplégie controlatérale complète sans ou avec réponse en extension à la douleur (signe d'atteinte du tronc). Une aphasie ou des troubles sensitifs sont souvent associés. Un tiers à deux tiers des HE font une atteinte pyramidale. Sachant que 22% des HE présentent une atteinte motrice immédiate (12), c'est surtout l'apparition secondaire du signe qui doit faire suspecter l'existence d'une lésion expansive intracrânienne.
Signes extracrâniens:
La lésion du cuir chevelu est un bon signe de localisation mais son absence peut induire en erreur, en particulier chez les enfants. L'otorragie est aussi un signe utile pour déterminer le côté atteint, comme le montrera notre travail.
Signes cardiovasculaires:
La bradycardie (fréquence cardiaque égale ou inférieure à 60/minute), considérée comme un signe d'hypertension intracrânienne, dépend de beaucoup d'autres facteurs extracrâniens. Souvent fugace, elle peut aussi parfois se prolonger plusieurs jours. L'augmentation de la pression artérielle est moins fréquente et encore moins fiable.
L'anémie, bien connue chez les petits enfants de moins de 1 an (9, 34), peut évoluer jusqu'au choc hypovolémique.
D'autres signes plus rares peuvent être mentionnés, comme l'oedème unilatéral ou bilatéral de la papille (5% [19]), l'hémianopsie (22) et l'exophtalmie (23).
d) Localisation:
Les HE latéraux (temporaux, pariétaux), qui représentent 60 à 75% des cas, sont ceux qui se développent le plus vite. Les HE se trouvent également en région frontale, occipitale ou au vertex. La localisation à la fosse postérieure (1 à 11% des HE, suivant les auteurs) est particulière de par son évolution souvent à bas bruit et prolongée au début; les céphalées, les vomissements et la somnolence sont fréquemment mentionnés, de même que les signes cérébelleux ou du tronc cérébral (36, 38, 39). Plus fréquents chez les enfants (37), ces hématomes ont une évolution rapidement fatale s'ils ne sont pas évacués à temps.
e) Moyens diagnostiques:
-Radiographies standard.
Tout traumatisé crânien arrivant au CHUV avec une notion de perte de connaissance ou d'amnésie aura, si l'évolution le permet, une face, un profil, une incidence de Town et une colonne cervicale de profil. Les patients porteurs d'une fracture de la calotte crânienne ou d'un déplacement significatif de la pinéale seront gardés en observation pendant 24 heures. L'avantage des radiographies est leur simplicité et leur rapidité d'exécution ainsi qu'un coût raisonnable comme examen de screening. Malheureusement, alors que plus de 90% des HE présentent une fracture de la calotte, 10% environ de celles-ci ne sont pas décelées sur les incidences habituelles. De plus, sans embarrure (14% des fractures [8, 17]), le côté de la fracture peut être difficile à déterminer.
-Tomographie transverse cérébrale (CT).
Cette nouvelle technique permet la visualisation directe du contenu intracrânien, avec un taux très bas de faux positifs et une proportion quasi-nulle de faux négatifs. Le CT a l'avantage d'être non invasif et sans danger. Il permet en outre de faire le bilan des fractures de la base et du massif facial, ainsi que des autres lésions intracrâniennes. Ses limites sont son encombrement et son prix de revient élevé excluant un examen de screening chez tous les traumatisés crâniens. Le CT sera indiqué lorsque l'appréciation clinique et radiologique du blessé fait suspecter la présence d'une lésion intracrânienne. En raison du délai de réalisation de l'examen, celui-ci peut être contre-indiqué s'il n'est pas réalisé dans un hôpital équipé d'un service de neurochirurgie pouvant rapidement évacuer l'hématome (16). L'aspect classique de l'HE aigu est celui d'une masse hyperdense biconvexe homogène ou inhomogène (6) en bordure de la table interne, refoulant le cerveau. Parfois, le bord interne est irrégulier, ressemblant à un hématome sous-durai aigu. Plus que sa taille, c'est son effet de masse, avec déformation du système ventriculaire et déviation de la ligne médiane, qui témoigne de son importance et de l'urgence à l'évacuer. Une solution de continuité de la calotte est souvent visible.
-L'artériographie carotidienne, autrefois utilisée dans les cas douteux, et d'exécution presque aussi rapide que le CT, a été supplantée par ce dernier. Certains centres continuent à l'utiliser dans le diagnostic d'urgence, en se limitant à une artériographie en flush avec tirage d'un seul cliché de face (5).
-Les autres techniques (échographie, EEG, ponction lombaire) sont contre-indiquées soit en raison du temps qu'elles font perdre et de leur absence de spécificité, soit à cause de leur danger intrinsèque (ponction lombaire).
f) Traitement:
L'indication opératoire est absolue chez tout patient symptomatique porteur d'un HE de taille significative (plus de 1 cm d'épaisseur chez l'adulte). Des signes de compression du tronc cérébral ou la présence d'un effet de masse sur l'image du CT imposent une décompression d'urgence. L'indication opératoire est relative si un petit HE reste asymptomatique; dans ce cas, le traitement conservateur éventuel doit assurer une surveillance clinique stricte avec CT répétés jusqu'à la résolution spontanée de l'hématome (31, 32).
Si le patient commence à présenter des signes de compression du tronc cérébral, on renonce habituellement au CT pour passer directement à la trépanation diagnostique et évacuatrice. Le premier trou est foré sur le trait de fracture, ou en son absence en région temporale du côté de la mydriase; des trous en région frontale et pariétale complètent l'exploration si le premier trou ne montre pas d'hématome. Si nécessaire, la même séquence sera répétée de l'autre côté. L'évacuation d'un HE aigu doit se faire par craniotomie large (avec volet ostéoplastique), complétée au besoin par une craniectomie. Se limiter à l'agrandissement d'un trou de trépan est insuffisant pour assurer une hémostase efficace et une évacuation complète (29). Après hémostase, une petite ouverture de la dure-mère est pratiquée si celle-ci reste sous tension ou montre une coloration bleutée; un éventuel hématome sous-dural sous-jacent, souvent mal individualisé sur l'image du CT, pourra être évacué. En fin d'intervention, on suspend la dure-mère aux bords osseux (20) pour limiter une éventuelle récidive, avant de replacer le volet. Un drain sous-galéal est disposé en fin d'intervention.
9) Pronostic:
La mortalité post-opératoire est la seule donnée mentionnée dans toutes les études. Elle est influencée par des facteurs géographiques (lésions extracrâniennes rencontrées, distances de transport des blessés). Le pronostic dépend de plusieurs variables inhérentes au patient. La plus importante semble être la présence de lésions intracrâniennes associées; en plus de leurs effets intrinsèques sur le cerveau, elles diminuent la tolérance cérébrale à l'HE. Elles sont associées à une mortalité deux (18) à quatre fois (8) plus élevée. L'état neurologique pré-opératoire est aussi un élément capital (21), la mortalité variant de 1,3% pour les patients conscients à 27% lorsque le patient a évolué jusqu'au coma (8) et jusqu'à 71% dans une autre étude (21). Si le patient présentait une rigidité de décérébration, l'évolution était défavorable dans 50 à 75% des cas (19, 21). L'importance du délai entre l'apparition des premiers signes et l'intervention a été démontrée (24). De la même étude, il ressort cependant que le temps écoulé entre le traumatisme et l'intervention ne modifie pas le pronostic de manière significative.
Parmi les autres facteurs influençant le pronostic, signalons l'âge, qui joue un rôle variable selon les auteurs (mortalité de 50% chez les patients âgés de plus de 50 ans, [15]) et l'emplacement de l'HE.
Si l'on note un net infléchissement de la mortalité depuis les années 60, les résultats sont très variables d'un collectif à I'autre (de 5% [16] à 40% [14]). L'amélioration des connaissances des médecins concernant l'HE et les progrès énormes enregistrés dans le domaine chirurgical et anesthésiologique sont des éléments certainement décisifs.